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Présidence et Gouvernement : Divergences de discours ?


Un regard d’ensemble sur les récentes déclarations du président de la République Kaïes Saïed et des membres du gouvernement Nejla Bouden montre, de manière criante, un manque de coordination et d’harmonie manifeste entre les deux institutions.

Ainsi, autant le Chef de l’Etat ne cesse de braver le monde néolibéral et son bras financier le FMI et de plaider pour la souveraineté nationale et le compter sur soi, autant les ministres de Bouden travaillent, à la veille d’une nouvelle configuration du monde, sur un arsenal juridique devant consacrer de nouveau la dépendance de l’économie du pays de l’étranger et de continuer à traiter les Tunisiens comme d’éternels consommateurs passifs. Pour preuve.

Nécessité de s’associer à la reconfiguration du monde

Dans son discours prononcé, le 19 mai 2023, en marge des travaux de la trente-deuxième session du sommet de la Ligue arabe, qui s’est tenu à Djeddah en Arabie saoudite, le président de la République a appelé, à l’impératif, pour la Tunisie et le monde arabe, de jouer un rôle actif dans la nouvelle configuration du monde.

« Ce monde qui se reconfigure, a déclaré le chef de l’Etat, ne doit pas se construire encore une fois sur le compte de notre Oumma et la destinée de nos peuples, nous devons exiger d’être considérés au même pied d’égalité que ceux qui veulent le réordonner (…) nous refusons d’être encore une fois les victimes d’un nouvel ordre mondial auquel nous n’avons pas participé ».

Cette reconfiguration étant une sorte d’esquisse d’une nouvelle mondialisation imposée par deux crises majeures : la pandémie du corona virus Covid 19 et la guerre russo- ukrainienne qui est en fait une guerre mondiale par sous-traitance. Ces deux crises ont impacté gravement les échanges internationaux et affecté particulièrement les pays les plus faibles.

A l’opposé de cette déclaration du Chef de l’Etat qui milite en faveur de l’intérêt national et du partenariat gagnant-gagnant, les ministres de Nejla Bouden s’emploient, au nom de ce qu’ils appellent l’amélioration du climat d’affaires, une conditionnalité du FMI pour l’octroi d’un prêt à la Tunisie, à paver le terrain aux européens prédateurs et à la conclusion de nouveaux accords de libre-échange asymétriques.

Un climat d’affaires à la mesure des intérêts européens

Lors d’un dîner débat organisé par le magazine l’Economiste Maghrébin, à la veille de son forum annuel sur le thème « la nouvelle mondialisation : une chance pour la Tunisie », des responsables tunisiens se sont relayés pour évoquer, avec enthousiasme, une série de réformes. Ces dernières visent à encourager, au nom de la relocalisation industrielle en méditerranéenne, des entreprises européennes à s’implanter en Tunisie et à repenser ainsi leurs chaînes d’approvisionnement dans l’ultime but de sécuriser, à la faveur de la proximité, l’autonomie de leur production.

Dans ce contexte, le ministre de l’Économie et de la planification, Samir Saïed a annoncé l’élaboration imminente d’une nouvelle loi d’investissement plus incitative devant valoriser les avantages compétitifs dans plusieurs secteurs stratégiques innovants : aéronautique, composants automobiles, agro-industrie, industrie pharmaceutique, textile…

Il s’agit pour la plupart d’activités qui bénéficient déjà de juteux avantages financiers et fiscaux prévus par la controversée loi 72 qui encourage depuis une cinquantaine l’investissement l’off-shore aux dépens de la production nationale.

La seule nouveauté apportée par ce projet de loi réside dans l’option pour, ce que le ministre appelle, l’investissement à impact. « Ce type d’investissement intègre, a-t-il-dit, des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Cette gamme d’outils novateurs permet de s’adapter au réchauffement climatique et de favoriser le développement durable. Une vingtaine d’activités ont été identifiées dans cette perspective et peuvent faire l’objet de partenariat public privé (PPP) ».

Le gouverneur de la Banque centrale, Marouane Abbassi a été, pour sa part, rassurant pour les entreprises off-shore. Il a rappelé avec fierté « que durant cette période de crise aigüe, la BCT a continué à honorer ses engagements, c’est-à-dire à rembourser la dette du pays dans les temps et à permettre aux entreprises offshores de rapatrier leurs dividendes ».

Commentant ces réformes, l’ambassadeur de l’Union européenne, Marcus Cornaro a rappelé les trois programmes mis en place par l’UE pour les accompagner : programme d’appui à la modernisation de l’industrie tunisienne, programme d’accompagnement de l’industrie numérique et en Tunisie et programme d’appui à la gouvernance économique.

Ces programmes rappellent, drôlement, les programmes de mise à niveau et de modernisation industrielle engagées dans les années 90 et 2000, en Tunisie en prévision de l’entrée effective, en 2008 de l’accord de libre échange des produits manufacturés.

Impératif d’une évaluation de la loi 72

Du côté tunisien, on n’a pas vu un seul responsable évaluer l’apport de l’off-shore en Tunisie au double plan de la création de la valeur ajoutée et du transfert de technologie.

Morale de l’histoire : il semble qu’on est en train de reconfectionner avec de nouveaux accoutrements la loi 72 et son corollaire la dissuasion de toute ambition nationale en matière d’innovation et de production locale.

Pour preuve : l’ambassadeur de l’Union européenne, qui s’est gardé de parler des dizaines de mesures protectionnistes prises pour dissuader les importations de pays hors de l’Europe, a adressé un satisfecit aux tunisiens pour efforts déployés en vue de faciliter l’implantation d’entreprises européennes en Tunisie.  Il a déclaré à ce propos que « l’élaboration de la stratégie industrielle et d’innovation à l’horizon 2035 est en harmonie avec les tendances de relocalisation industrielle de l’UE ».

Dont acte.

Source: Manager Center