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Allemagne/Tadjikistan : emprisonnés après expulsion


Berlin (10/03 – 25)

Il y a un an, l’Allemagne a expulsé vers le Tadjikistan un militant du mouvement d’opposition en exil de ce pays, qui vivait à Dortmund depuis 2009. Ce qui s’est passé ensuite est un exemple choquant de ce qui peut se produire lorsque l’Allemagne ne respecte pas les garanties dans ses efforts accrus pour expulser les demandeurs d’asile déboutés. Le Bundestag a donné ce mois-ci à la police de plus grands pouvoirs pour procéder aux expulsions.

Le militant Abdullohi Shamsiddin, 33 ans, a été expulsé vers le Tadjikistan le 18 janvier 2023. Il a été arrêté à son arrivée par les services de sécurité. Deux mois plus tard, il a été reconnu coupable de tentative de renversement de la constitution et condamné à sept ans de prison. Aucune preuve crédible n’a été présentée lors d’un procès inéquitable.

Le Tadjikistan, un pays à majorité musulmane de 9,7 millions d’habitants en Asie centrale, est dirigé par l’un des autocrates les plus anciens du monde. Le président Emomali Rahmon est au pouvoir depuis 1992. Il a mené une sévère répression des droits humains, en particulier depuis 2015, lorsque le principal parti d’opposition, le Parti de la Renaissance islamique du Tadjikistan (IRPT) et le Groupe 24, un autre groupe d’opposition, ont été interdits. Le Parlement européen a exprimé ce mois-ci sa préoccupation face à « la répression étatique contre les médias indépendants » dans le pays.

Depuis 2021, le gouvernement a brutalement réprimé les manifestations dans la région de l’oblast autonome du Haut-Badakhshan, entraînant de nombreux morts.

Le gouvernement allemand a reconnu l’année dernière la crise des droits humains au Tadjikistan en réponse à une question parlementaire sur le cas de Shamsiddin. « Les libertés fondamentales des citoyens, en particulier la liberté d’expression et la liberté de religion, sont sévèrement restreintes au Tadjikistan », indique-t-il. Les membres de l’IRPT sont régulièrement emprisonnés et condamnés à de longues peines de prison, a ajouté le gouvernement.

Le père de Shamsiddin, réfugié en Allemagne, est un membre senior de l’IRPT. Le retour forcé de Shamsiddin constitue donc un cadeau particulièrement précieux pour les dirigeants autoritaires du Tadjikistan.

Après sa détention, Shamsiddin a été détenu pendant plus de deux mois dans une cellule d’isolement sombre et a été maltraité, selon des membres de sa famille. Il a perdu du poids et s’est vu refuser des soins médicaux. Lorsqu’un responsable de l’ambassade allemande lui a rendu visite, huit gardiens de prison étaient présents.

Des dizaines de ses amis et parents au Tadjikistan ont été interrogés sur la base de contacts que les autorités tadjikes ont récupérés sur le téléphone portable de Shamsiddin, un appareil qu’elles ont obtenu parce que la police allemande le leur a donné. Cousin de Shamsiddin, Saidumar Saidov a été condamné à six ans de prison en juillet dernier pour une courte publication sur les réseaux sociaux concernant le cas de Shamsiddin.

Shamsiddin n’aurait jamais dû être expulsé, car le droit international, y compris de nombreux traités auxquels l’Allemagne est liée, interdit le « refoulement », c’est-à-dire le renvoi d’une personne vers un pays où elle risque d’être torturée ou soumise à des traitements cruels ou inhumains.

Shamsiddin, marié et père de deux jeunes enfants, a déposé trois demandes d’asile infructueuses en Allemagne. Son cas est complexe. Il a changé de nom après son arrivée en Allemagne et compte plusieurs condamnations. Apparemment, c’est pour ces raisons que les autorités et les tribunaux locaux ont choisi de ne pas accepter les experts du Tadjikistan, qui ont déclaré qu’il était très probable qu’il soit arrêté et maltraité s’il était renvoyé.

Les autorités allemandes connaissaient la véritable identité de Shamsiddin avant son expulsion, comme l’avaient confirmé des responsables de l’ambassade tadjike à Berlin en juin 2022. L’épouse de Shamsiddin, citoyenne Tadjike, a le statut de réfugiée dans l’Union européenne.

La décision de l’Allemagne d’expulser Shamsiddin a eu de graves conséquences, car le Tadjikistan est tristement célèbre pour poursuivre ses opposants à l’étranger. De nombreux partisans de l’opposition ont déménagé à l’étranger après la répression de 2015.

En 2016, HRW a publié des conclusions soulignant la stratégie de Douchanbé consistant à agresser ou à kidnapper des militants vivant à l’étranger ou cherchant à les expulser. Depuis lors, des expulsions vers le Tadjikistan de personnalités de l’opposition ont eu lieu en provenance de nombreux pays, dont l’Autriche et l’Allemagne.

Le gouvernement tadjik interroge régulièrement les proches de militants exilés basés au Tadjikistan pour faire pression sur ces militants afin qu’ils arrêtent leurs campagnes. En septembre dernier, un groupe de militants Tadjiks a manifesté à Berlin contre la visite du président Rahmon. Dans les jours qui ont suivi, les autorités du Tadjikistan ont interrogé une cinquantaine de proches des manifestants à Berlin et ont détenu certains pendant plusieurs jours.

Plusieurs membres du Bundestag suivent le cas de Shamsiddin. Le gouvernement allemand devrait exhorter le Tadjikistan à mettre fin à ses violations des droits humains, à libérer Shamsiddin et à lui permettre de quitter le pays. Le Tadjikistan cherche actuellement à resserrer ses liens avec l’Europe. L’Allemagne dispose donc d’un levier dans ses négociations avec Douchanbé, si elle est prête à l’utiliser.

BERLIN devrait également enquêter sur la manière dont Shamsiddin a été expulsé et exposé à un risque connu de torture ou de traitement inhumain, afin de garantir que de tels incidents ne se reproduisent plus.

C’est urgent. En novembre, un autre militant de l’opposition Tadjik a été expulsé d’Allemagne. Bilal Qurbanaliev était l’un des manifestants contre Rahmon en septembre dernier. Il est désormais détenu au Tadjikistan. Et en décembre, un Tadjik a été arrêté en Allemagne pour terrorisme. Les allégations sont graves et méritent une enquête. Mais il ne devrait pas être expulsé vers le Tadjikistan s’il risque d’y être torturé.

Source : Human Rights Watch