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Investir dans Demain : des Politiques Budgétaires et une Gouvernance à l’Epreuve du Temps en Europe


Discours d’ouverture de Fabio Panetta, membre du directoire de la BCE, lors de l’atelier conjoint des institutions budgétaires européennes indépendantes et du Système européen de banques centrales sur « La politique budgétaire européenne et la réforme de la gouvernance en période d’incertitude »

Notre cadre financier est à la croisée des chemins.[1]Les négociations sur les propositions législatives de la Commission européenne visant à réformer les règles de gouvernance économique de l’UE entrent dans une phase cruciale.

Pour garantir le succès de cette réforme et renforcer notre gouvernance économique, le nouveau cadre devra nous protéger des erreurs du passé. Et il faudra qu’il soit possible de réutiliser des politiques qui ont fait leurs preuves.

Avant la pandémie, nous avions accumulé un important déficit d’investissement public qui avait miné notre potentiel économique.[2]La politique budgétaire a souvent été procyclique. Et les politiques macroéconomiques ont parfois fonctionné les unes contre les autres. Nous en avons payé le prix fort sous la forme d’une croissance plus faible, d’un chômage plus élevé et d’une détérioration des conditions budgétaires.

Mais la réponse à la pandémie a été différente. Les politiques budgétaires nationales ont réagi de manière anticyclique au ralentissement économique, complétées par un plan de relance européen axé sur les investissements dans la transition verte et la numérisation. Cette réponse budgétaire a fonctionné en tandem avec des mesures de politique monétaire et de surveillance, atténuant les effets d’amplification financière et sortant l’économie de la trappe à liquidité.[3]Il en a résulté une reprise presque complète (graphique 1), un taux de chômage record et un retour de la dette sur une trajectoire descendante après la hausse initiale enregistrée en 2020.

Plus récemment, la politique budgétaire a complété la politique monétaire pour contrer les effets inflationnistes de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine et de la crise énergétique.

Aujourd’hui, je soutiendrai que nous devons intégrer les leçons tirées de cette expérience dans notre gouvernance budgétaire.

Garantir la viabilité des finances publiques, c’est comme équilibrer une balançoire, avec la dette d’un côté et la croissance de l’autre. Pour parvenir à un véritable équilibre, la politique budgétaire doit être anticyclique, compatible avec la stabilité des prix et favorable à la croissance potentielle. Elle doit également reposer sur des mesures à la fois économiquement rationnelles et politiquement durables. Cela signifie non seulement veiller à ce que la politique budgétaire repose sur une analyse technique rigoureuse – dans laquelle les institutions budgétaires indépendantes (IFI) ont un rôle important à jouer – mais également à ce qu’elle bénéficie d’un large soutien politique et soit démocratiquement responsable.

Je soutiendrai que cet équilibre doit reposer sur trois éléments.

Tout d’abord, je soulignerai l’importance de la complémentarité entre les politiques monétaires et budgétaires et le fait que la nature de leurs interactions dépend de l’état de l’économie. En période de tensions, une combinaison de politiques budgétaires et monétaires non conventionnelles pourrait bien s’avérer la meilleure solution.

Je plaiderai ensuite en faveur d’un cadre budgétaire qui tienne compte de l’importance à la fois de la dette et de la croissance économique pour la viabilité des finances publiques. Nous avons besoin d’une approche intégrée qui offre la bonne combinaison de prudence budgétaire, d’investissements publics intelligents et de réformes structurelles.

Enfin, je me concentrerai sur deux aspects clés du débat sur la réforme de la gouvernance budgétaire européenne : le rôle des IFI et les éléments manquants de cette réforme. Nous devons renforcer le « E » dans l’UEM, notre Union économique et monétaire. Cela ne peut être réalisé sans une politique budgétaire bien coordonnée et une capacité budgétaire centrale permanente dans la zone euro.

Assurer la complémentarité entre la politique budgétaire et la politique monétaire

Permettez-moi tout d’abord de souligner l’importance de l’interaction entre la politique budgétaire et la politique monétaire. La nature de cette interaction dépend de l’état de l’économie.

Interactions monétaires et budgétaires depuis 2020

Depuis 2020, en seulement trois ans et demi, quatre phases distinctes ont été identifiées .

Dans le premier cas , la politique budgétaire et les politiques monétaires ont travaillé en tandem pour soutenir nos économies en réponse au choc provoqué par la pandémie, qui avait entraîné des perturbations soudaines tant du côté de la demande que de l’offre. Les politiques budgétaires nationales ont été fortement expansionnistes, introduisant des mesures telles que des dispositifs de chômage partiel, pour atténuer l’impact de la pandémie. Dans le même temps, la politique monétaire a veillé au maintien de conditions de financement favorables pour garantir la transmission de la politique monétaire. Les mesures monétaires et budgétaires non conventionnelles, telles que le programme d’achats d’urgence de la BCE en cas de pandémie et le programme européen Next Generation EU, ont joué un rôle central dans le rétablissement de la confiance, en particulier dans les économies vulnérables de la zone euro.

Dans une deuxième phase, plus courte , après l’été 2021, l’accent a été mis sur la garantie du bon séquencement de la normalisation des politiques après la pandémie. Dans les enceintes européennes, il a été avancé que la normalisation budgétaire devait primer, même si elle devait être progressive et favorable à la croissance. Cela aurait placé l’économie sur une trajectoire qui aurait également permis une normalisation progressive de la politique monétaire, favorisant ainsi une reprise équilibrée et durable.

Cependant, l’agression russe contre l’Ukraine et la manipulation des approvisionnements énergétiques[4]Une fois de plus, le paysage économique a été radicalement modifié, conduisant à la troisième phase . Compte tenu de la forte hausse des prix de l’énergie et de l’apparition de goulots d’étranglement dans l’approvisionnement, l’inflation a atteint de manière inattendue des niveaux jamais vus depuis le début des années 1980 et les prévisions de croissance économique ont chuté. Cela a déclenché une réponse différente de la part des autorités monétaires et budgétaires.

L’aspect frappant de cette phase a été le caractère non conventionnel des mesures fiscales adoptées. Tandis que la BCE intensifiait ses efforts pour lutter contre l’inflation, les pays de la zone euro mettaient en œuvre des mesures budgétaires temporaires pour alléger le fardeau des prix élevés de l’énergie (graphique 2). Plus de la moitié de ces mesures ont eu un impact négatif direct sur le coût de la consommation énergétique. Cela a contribué à contenir l’inflation, et donc à la modération salariale. Les autres mesures ont soutenu les revenus des ménages et des entreprises d’une manière qui n’était souvent pas suffisamment ciblée sur les plus vulnérables.

Graphique 2

Mesures de soutien budgétaire liées à l’énergie et à l’inflation dans la zone euro

Sources : BCE, projections macroéconomiques des services de la BCE pour la zone euro (MPE), MPE de septembre 2023 et calculs des services de la BCE.Notes : Les barres montrent les mesures compensatoires budgétaires en matière d’énergie et d’inflation en termes d’impact budgétaire brut. Les points jaunes montrent l’impact budgétaire net (soutien brut moins mesures de financement discrétionnaires).

Au cours de cette phase, la BCE a évité des augmentations injustifiées des spreads souverains grâce à sa décision d’introduire le Transmission Protection Instrument (TPI) en juillet 2022. Le TPI a permis à la BCE d’ajuster rapidement sa politique monétaire sans provoquer de fragmentation financière, ce qui aurait entravé l’efficacité de la politique monétaire. transmission de la politique monétaire dans la zone euro. Le TPI a également renforcé la capacité des États membres, en particulier ceux ayant des taux d’endettement élevés, à contrecarrer le choc énergétique.[5]

Les simulations des services de la BCE suggèrent que les politiques budgétaires non conventionnelles (PFU) ont contribué à contenir l’inflation de 0,9 point de pourcentage sur la période 2022-23 (graphique 3).[6]Estimations supplémentaires basées sur des modèles de microsimulation[7]indiquent que l’impact de ces mesures aurait pu être encore plus important – une inflation jusqu’à 1,6 point de pourcentage inférieure pour la zone euro rien qu’en 2022.[8]Il est important de noter que les PFU ont contribué à éviter les effets de second tour et à maintenir les anticipations d’inflation à long terme ancrées, aidant ainsi la politique monétaire à réduire l’inflation de la zone euro d’un sommet de 10,6 % en octobre 2022 à 5,2 % aujourd’hui.[9]Les PUF ont également contribué à maintenir un environnement économique équilibré[dix]et stabiliser l’économie européenne.[11]

Graphique 3

Impact estimé du soutien budgétaire dans la zone euro sur l’inflation du PIB réel et de l’IPCH

Source : simulations des services de la BCE.Notes : Simulation basée sur les projections macroéconomiques de juin 2023 des services de l’Eurosystème pour la zone euro. Les résultats montrent que les écarts forment un scénario contrefactuel d’absence de soutien politique budgétaire et incluent le jugement nécessaire pour mieux refléter l’incertitude autour des estimations du modèle, en particulier en ce qui concerne le plafonnement des prix de l’énergie. Résultats basés sur le questionnaire structuré du groupe de travail de l’Eurosystème sur les prévisions. IPCH signifie Indice Harmonisé des Prix à la Consommation.

Alors que nous nous dirigeons vers 2023, la chute des prix de l’énergie a créé de nouveaux défis politiques, qui représentent la quatrième phase . Au cours de cette phase, il est devenu nécessaire de retirer en temps opportun les mesures budgétaires de soutien à l’énergie. Ne pas le faire pourrait créer une impulsion de la demande qui exacerberait les pressions inflationnistes, ce qui déclencherait à son tour une réponse de politique monétaire. Ce serait très inefficace, comme si l’on donnait d’une main et reprenait de l’autre.[12]

Leçons apprises

Les interactions récentes entre politique monétaire et politique budgétaire fournissent deux enseignements importants. Premièrement, la politique monétaire et la politique budgétaire peuvent et doivent coopérer lorsque cela est nécessaire, par exemple en réponse à des chocs importants. Ces dernières années, cela s’est avéré essentiel pour soutenir la résilience économique, soutenir la reprise et lutter contre l’inflation.

En effet, la stabilité des prix et la viabilité budgétaire se soutiennent mutuellement. Des politiques budgétaires prudentes en période de prospérité créent l’espace nécessaire pour que la politique budgétaire puisse soutenir la demande parallèlement à la politique monétaire en période de ralentissement économique. Dans le même temps, une politique monétaire véritablement anti-inflationniste et la stabilité des prix sont nécessaires pour maintenir la viabilité des finances publiques. En fait, au cours de la décennie précédant la pandémie, la faible inflation a permis aux pays européens de continuer à emprunter à faible coût, même si leurs ratios d’endettement ont fortement augmenté. La situation a changé avec l’apparition de chocs négatifs sur l’offre mondiale, qui ont fait grimper à la fois l’inflation et les coûts de financement (graphique 4).

Graphique 4

Niveau d’endettement, coût du crédit et inflation dans la zone euro

Sources : Eurostat et calculs des services de la BCE.Note : Le rendement fait référence au rendement des obligations d’État de référence à 10 ans de la zone euro. Les dernières observations concernent le premier trimestre 2023 pour la dette et le deuxième trimestre 2023 pour le rendement et l’IPCH.

Pour que cette interaction fonctionne efficacement à l’avenir, nous devons veiller à ce que l’orientation budgétaire de la zone euro ne soit pas simplement le résultat fortuit des politiques budgétaires nationales. Cet objectif devrait plutôt être atteint grâce à une coordination efficace des politiques budgétaires des États membres sous la direction de la Commission européenne et avec un rôle accru du Comité budgétaire européen pendant la phase d’évaluation.

La deuxième leçon est que l’interaction monétaire-budgétaire ne doit pas suivre des règles rigides et prédéterminées. Tant la littérature économique que l’expérience politique suggèrent que cette interaction devrait dépendre de l’état de l’économie, qui ne peut être pris en compte qu’en introduisant suffisamment de flexibilité dans notre gouvernance budgétaire. C’est le cas, par exemple, lorsque l’on permet l’activation dans des circonstances exceptionnelles de clauses dérogatoires qui gèlent temporairement la mise en œuvre des règles budgétaires européennes.

Qu’est-ce que cela signifie en pratique pour la stabilisation macroéconomique dans l’UEM ?

Dans des conditions économiques normales, la politique budgétaire contracyclique devrait continuer de s’appuyer principalement sur les stabilisateurs automatiques nationaux, en particulier dans la zone euro, où ils sont largement utilisés.[13]Cela reflète le fait que les stabilisateurs automatiques sont mieux adaptés que les mesures discrétionnaires pour répondre aux fluctuations normales du cycle économique en raison de leur rapidité, de leur prévisibilité, de leur ciblage approprié et de leur durabilité.[14

Source : European Central Bank