Une cellule partagée avec plus d’une douzaine d’hommes. Des repas qui sont pris au sol. Des visites toutes les deux semaines et ne durant que 20 minutes.
Depuis 102 jours, c’est le sort qui est réservé au chercheur québéco-algérien Raouf Farrah dans la prison de Boussouf à Constantine, en Algérie. Un sort que ses proches et ses amis ont de la difficulté à s’expliquer. À accepter.
« Depuis son incarcération, un sentiment d’injustice et d’inquiétude nous habite. C’est avec tristesse que sa fille a fêté ses 4 ans sans lui », ont écrit les membres de sa famille dans une lettre ouverte.
Ils demandent que le chercheur soit remis en liberté en attente de son procès.
« On ne devrait pas garder en prison quelqu’un qui ne représente aucun risque », plaide Mourad Haouas, un ami de la famille. « Raouf n’est pas un voyou. Il lutte justement contre la délinquance et le crime organisé. Tout ça semble être une erreur monumentale », dit l’homme de 69 ans, joint à Montréal. Il connaît M. Farrah depuis son enfance.
Les mésaventures de Raouf Farrah ont débuté le 14 février dernier. Ce jour-là, le diplômé de l’Université de Montréal et de l’Université d’Ottawa, analyste pour l’organisation Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée, était chez ses parents à Seraidi, en Algérie, avec sa femme et sa petite fille. La famille québéco-algérienne avait fait le trajet à partir de Tunis, où elle a élu domicile pour des raisons professionnelles.
Ce qui devait être des vacances de quelques jours a pris une autre tournure quand la police judiciaire algérienne a débarqué pour une perquisition. Les forces de l’ordre enquêtaient sur le départ du pays au début de février de l’opposante politique Amira Bouraoui. La journaliste et ex-gynécologue a été l’une des figures de proue du large mouvement de contestation algérien, le Hirak, qui a mené au départ du président Abdelaziz Bouteflika en 2019, départ qui a été suivi par des élections contestées et une vague de répression.
Condamnée à deux ans de prison pour avoir « offensé l’islam » et « insulté le président », Mme Bouraoui était en attente d’un appel devant les tribunaux algériens quand elle a trouvé refuge en Tunisie avant de mettre le cap sur la France.
Sa fuite a été au cœur d’un bras de fer diplomatique entre Alger et Paris et a mené à plusieurs arrestations dans le pays du Maghreb. Les policiers ont notamment arrêté le cousin de Mme Bouraoui, un chauffeur de taxi ainsi que Mustapha Bendjama, un journaliste. Ce dernier a contribué à un chapitre d’un récent livre édité par M. Farrah.
Raouf Farrah a donc été arrêté dans la foulée de cette enquête, mais depuis, la procédure judiciaire s’est corsée. Il est aujourd’hui accusé d’avoir « reçu des fonds de l’étranger dans le but de commettre des actes contre l’ordre public » ainsi que d’avoir « publié des informations classifiées » sur l’internet, deux méfaits qui ne semblent pas en lien avec l’affaire Bouraoui. Son père, âgé de 67 ans, a lui aussi été arrêté, emprisonné, puis relâché en attente d’un procès.
Pour le moment, on ignore si les accusations sont en lien avec le travail du chercheur – il s’intéresse à d’épineuses questions de criminalité transfrontière en Afrique du Nord – ou parce qu’il a exprimé en public son opinion sur la situation politique en Algérie, mais dans les deux cas, ses proches croient que la tenue d’un procès permettra de l’innocenter. De reprendre le cours de sa vie.
Le cas du ressortissant canado-algérien est source d’inquiétude, mais on pourrait dire la même chose du climat politique qui existe ces jours-ci en Algérie et qui n’est pas étranger à toute cette saga judiciaire.
Dans son dernier rapport sur le pays, Human Rights Watch dénonce la multiplication des arrestations et des emprisonnements de journalistes, de défenseurs des droits de la personne, d’intellectuels et d’autres militants pacifiques ayant exprimé des points de vue critiques du gouvernement ou du président Abdelmadjid Tebboune, en place depuis 2019.
Cette répression fait régner la peur dans le pays, mais aussi dans la diaspora algérienne. En Europe comme chez nous. D’ailleurs, plusieurs personnes ont refusé d’être citées pour cette chronique, craignant de subir des représailles.
Cette semaine, une dizaine de personnalités de renommée internationale, dont la lauréate française du Nobel de littérature Annie Ernaux, le réalisateur britannique Ken Loach et le linguiste et essayiste américain Noam Chomsky, ont à leur tour dénoncé ce tour de vis liberticide. Ils y déplorent l’arrestation d’un journaliste, Ihsane El Kadi, la fermeture des deux médias qu’il dirigeait et demandent au président de faire cesser « l’acharnement sécuritaire et judiciaire » que subissent les prisonniers d’opinion en Algérie.
« Quels que soient les désaccords et les antagonismes, l’Algérie est un idéal plus vaste que le cachot qu’elle est en train de devenir pour les journalistes critiques et les voix discordantes », écrivent les réputés signataires des quatre coins du monde.
Espérons que leur formulation à la fois claire et polie se fera un chemin jusqu’au palais présidentiel d’El Mouradia. Plusieurs familles, comme celle de M. Farrah, attendent le retour des leurs avec impatience.
Source: Lapresse
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